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POUR UNE LIBERATION DU SAVOIR EN AFRIQUE
Le savoir traditionnel africain a longtemps été marginalisé. Cela semble être dû au fait que ce savoir n’a pas été vulgarisé. Il se donnait sous le manteau à la gloire des élites. Mais, aujourd’hui, encore, les mêmes élites qu’elles soient traditionnelles ou modernes continuent encore de masquer le savoir et plongent tout un continent dans les ténèbres de l’obscurantisme et de l’égoïsme éducationnel. Chacun veut être le seul spécialiste et l’Afrique continue de sombrer.
Pour de nombreux intellectuels Africains et Occidentaux, la tradition orale est un savoir imaginaire et demeure un savoir de l’imaginaire .Mais, à la vérité, cet imaginaire n’est imaginaire que de nom. Les véritables acteurs de l’histoire savent qu’ils utilisent des moyens symboliques , mais ils savent aussi que leur pouvoir au moyen des symboles , leur pouvoir sur les symboles, est un pouvoir efficace , réel et non illusoire qui ne se constitue que par un acte de connaissance et de profession de foi . Il suffit seulement d’y croire, de dire et de le faire. Croire et dire, c’est mettre en relation simultanée le Cœur et la Pensée. Cette relation donne un acte concret, visible et efficace. C’est la puissance du croire et du dire qui stimule le faire et le réalise. Cette réalisation, par la parole incantatoire, rythme la vie traditionnelle africaine. Elle est ce dire silencieux qui permet de décrypter des signes de la nature, de dévoiler ce qui est caché et de prévenir ce qui est à advenir dans l'avenir, pour parvenir à l’être et s’approprier son devenir. Mais comme le pharmakon, la parole tradition orale n’est-elle pas aussi remède que poison ? Le savoir en Afrique n’est –il pas ce savoir, cette sorte de marmite bouillante freudienne qui est déversée sur le peuple africain à l’image de cette co-épouse jalouse qui arrose sa rivale avec la ferme intention de la défigurer et de l’empêcher de bénéficier du regard envieux du mari commun ? Faut-il continuer à dénaturer ou à masquer le savoir en Afrique ?Dans tous les cas, les effets des savoirs endogènes en Afrique qu’ils soient positifs ou négatifs, permettent de dire que la tradition orale est un savoir à la fois théorique et pratique, une écriture symbolique qui se sert de ressemblances plus ou moins cachées pour dévoiler le sens des choses.
Dans sa préface de Les mots et les choses, Michel Foucault écrivait : « Les codes fondamentaux d’une culture ceux qui régissent son langage , ses schémas perceptifs , ses échanges , ses techniques, ses valeurs , la hiérarchie de ses pratiques fixent d’entrée de jeu pour chaque homme les ordres empiriques auxquels il aura affaire et dans lesquels il se trouvera. À l’autre extrémité de la pensée , des théories scientifiques ou des interprétations de philosophes expliquent pourquoi il y a en général un ordre, à quelle loi générale il obéit , quel principe peut en rendre compte , pour quelle raison c’est plutôt cet ordre ci qui est établi et non pas tel autre »
Pour ce qui est de la civilisation africaine, son mode d’être procède avant tout du verbe, qu’il soit parole, rythme ou symbole. Le griot, maître de la parole ne connaît que la parole. Le verbe est son instrument, la parole, sa raison de vivre, sa vie ; car c‘est de la parole qu’il tire non seulement sa subsistance mais aussi son statut dans la société. Pour le griot africain, la parole est nourriture, pas parce que la parole se mange, mais parce que la bonne parole n’est bonne qu’à être dite. Elle doit être dite. Le meilleur roi, le meilleur chef, est celui qui possède un bon griot. La modernisation de cette ‘’griotique’’ aujourd’hui, selon le terme de Niangoran Porquet, semble être la mise en place des structures de la communication. Un bon pouvoir est celui qui se’’ vend ‘’, qui a une politique de communication très efficace. Un bon représentant d’une institution, d’une firme commerciale doit avoir l’art de convaincre. Les journalistes d’aujourd’hui sont ce qu’étaient les griots d’hier dans l’Afrique ancienne.
Mais le langage n’est pas seulement instrument de communication. L’essence du monde négro-africain réside dans la force dont la vie et le verbe actualisent les manifestations profondes. Le langage apparaît dans ce cas comme l’expression de l’être – force, déclenchement des puissances vitales et principes de leur cohésion. Le verbe est créateur, fondateur et destructeur à la fois. Les incantations sont un langage que le guérisseur ou le féticheur utilise pour soigner un malade ou prévenir un mal. Le jet des cauris, des cailloux ou l’exposition des figures géographiques sur le sol permettent à l’initié africain de savoir des choses, de comprendre certains problèmes ou de se projeter dans un futur incompréhensible. Le silence des choses est la parole du guérisseur ; tout silence est un langage, un message codé, caché, voilé. Ce silence est un dire, un dire silencieux, un exprimé masqué. Le guérisseur traditionnel doit donc rompre le silence pour s’exprimer ; rompre le silence, c’est dire autrement ce que la nature dit vraiment. Dans ce cas, le dire devient une fiction régulatrice, le moyen d’une foi, le cordon ombilical de croyances et de valeurs, le caillot spermique d’une naissance, la naissance du savoir, du savoir dévoilé. Dans les sociétés africaines traditionnelles,
« le langage réel n’est pas un ensemble de signes indépendants, uniforme et lisse où les choses viendraient se refléter comme dans un miroir pour y énoncer une à une leur vérité singulière. Il est plutôt chose opaque , mystérieuse , refermée sur elle-même , masse fragmentée et de point en point énigmatique, qui se mêle ici ou là aux figures du monde , et s’enchevêtre à elles : tant et si bien que , toutes ensembles, elles forment un réseau de marques où chacune peut jouer , et joue en effet, par rapport à toutes les autres , le rôle de contenu ou de signe, de secret ou d’indication . Dans son être brut et historique, le langage n’est pas un système arbitraire ; il est déposé dans le monde et il en fait partie à la fois parce que les choses elles- mêmes cachent et manifestent leur énigme comme un langage , et parce que les mots se proposent aux hommes comme des chiffres à déchiffrer . La grande métaphore du livre qu’on ouvre , qu’on épelle et qu’on lit pour connaître la nature , n’est que l’envers visible d’un autre transfert , beaucoup plus profond , qui contraint le langage à résider du côté du monde , parmi les plantes , les herbes , les pierres et les animaux ».


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